- Le ciel se teintait de rose et d'orange, tandis que Cœur de Foudre s’étirait et échauffait ses muscles engourdis par le froid. Heureusement, lui, avait une longue fourrure épaisse au contraire de la plupart de ses camarades, s’ils affirmaient qu'un poil court permet de mieux pénétrer dans l'air et ainsi courir plus vite, le rouquin était persuadé que ces médisances étaient fausses car il était plus vif qu’un membre des Clans des Marais ou du Ruisseau alors que les membres de ces deux tribus arboraient le plus souvent un long pelage. Le matou tigré se glissa hors de sa tanière puis bailla à s’en décrocher la mâchoire où son souffle se transformait en un petit nuage. Le gèle de la nuit s’évaporait peu à peu aux premières lueurs de l’aube. La saison des neiges était là, bientôt, l'antre du guérisseur sera rempli de chats malades et les proies iront se fourrer au chaud au fond de leur terrier. Cependant, Cœur de Foudre restait confiant. Les clans survivront, comme ils survivront à la prochaine et à celle d’après. Voilà bien des lunes qu’il avait juré fidélité au Clan de la Lande, le Clan des Etoiles avait approuvé sa nomination de lieutenant. A présent il épaulait Etoile du Faucon, celle qui avait accepté son retour sur sa terre natale. Si la meneuse était aveugle, elle n’en restait pas moins une combattante affirmée et un fin chasseur. Le grand mâle doré  était très fier d’être son second, toutefois, tout le clan ne partageait pas sa joie. Certains le voyait comme son père, Œil de Pénombre, un traître et un assassin du Clan Sombre dont on devait rapidement se débarrasser. Il s’ébroua, puis répartit les tâches entre quelques guerriers. Cœur de Foudre choisit un vétéran et son apprenti pour patrouiller le long de la frontière avec le Clan du Ruisseau.

Ils longèrent le lac jusqu’à la limite invisible entre les deux tribus. Rien à signaler. Les guerriers d’Etoile de Mélodie se tiennent tranquilles, pour l’instant, se dit-il, rassuré. Bien sûr, il serait idiot de négliger le Clan des Marais car s’il était le plus accueillant des trois clans, Etoile du Lac pourrait être tenté de voler un bout de son territoire en pleine saison des neiges. Alors que le lieutenant allait rebrousser chemin, il perçut un léger fumet du clan voisin. D’un battement de queue, il fit comprendre aux membres de sa patrouille de rester vigilants, et bondit derrière un buisson épineux. Une fine silhouette ardoise se tenait à quelques queues de renards de la frontière. Il huma l’air sans rien détecter d’autre à part l’odeur d’Etoile de Mélodie. Il sortit les griffes et ses muscles se raidirent. La femelle était seule mais elle se méfiait toujours de lui, même après plusieurs saisons consacrées entièrement à son clan. Son cœur se serra, Clair de Lune appartenait jadis au clan rival mais il n’avait pas voulu de lui. Il poussa un grondement sourd puis se calma aussitôt. Cœur de Foudre ordonna à sa patrouille de ne pas l’attendre et de finir la surveillance des frontières sans lui. En quelques sauts, il fut devant Etoile de Mélodie qui le rejoignait.

« Salutations, Cœur de Foudre. Ton clan se porte-t-il bien ? miaula-t-elle.

_ Salutations. C’est précisément le devoir d’un lieutenant et de son chef, de s’occuper de lui. Etoile du Faucon et moi nous occupons très bien de notre clan, répondit-il du tac au tac. »

Si Etoile de Mélodie doute que je fasse un mauvais lieutenant, qu’elle le dise et je la réduis en charpie ! se dit le rouquin à lui-même. Son regard ambré lançait des éclairs, il la toisait d’un air de défis. Personne ne peut le traiter de félon, il n’avait pas choisi de grandir dans le Clan Sombre, son père l’avait enlevé ! Seule sa mère, Aile de Chouette, avait en lui une confiance totale. Aujourd’hui, il était un valeureux guerrier.

(No soucis, je suis inspirée ! )

« Salutations. C’est précisément le devoir d’un lieutenant et de son chef, de s’occuper de lui. Etoile du Faucon et moi nous occupons très bien de notre clan. »

Il m'a semblait que mes paroles l'avaient touché. Je n'avais pourtant rien insinué. Même si je n'avais pas confiance en lui, et que je l'avais refusé dans mon Clan, je ne pensais pas que c'était un mauvais second pour autant. Je ne préférerais pas l'avoir comme second. J'avais à peine confiance en mes guerriers, comment pourrais-je avoir confiance en un ancien combattant du Clan Sombre ? Mais je ne le jugeai pas. Enfin, c'est moi qui le dit.

« Je n'insinuais rien. Je ne doute pas que ton Clan a confiance en toi. »

Je doutais qu'il me crois. Je me souvenais encore avec quel mépris je l'avais refusé. Aujourd'hui, je le regrettais. Mais à l'époque, j'étais encore jeune, et le choc de la trahison avait été comme un morceau de glace venu s'enfoncer au plus profond de moi, et j'avais mis plusieurs lunes à m'en remettre, même si j'avais continué à servir mon clan comme une digne meneuse.

- Etoile de Mélodie plissa les yeux et le dévisagea un instant. Cœur de Foudre renifla, après tout elle pouvait bien penser ce qu’elle voulait. La femelle tigrée n’était pas la seule à préférer le voir partir très loin des terres des trois clans plutôt que de se trouver la tête d’un clan. D’un clan puissant, par ailleurs, se réjouit-il intérieurement. Le Clan de la Lande disposait du plus grand territoire qui ne manquait pas de gibier. Sa tribu était la mieux nourrie et donc la plus forte. Lorsque je deviendrais chef, je ne manquerai pas de le rappeler aux autres clans, pensa le rouquin sans détacher son regard ambré dans celui turquoise de sa rivale. Cette dernière lui répondit :

« Je n'insinuais rien. Je ne doute pas que ton clan a confiance en toi. »

Bien sûr, tu ne penses pas là un traître mot ! se garda-t-il de remarquer. Il se donna un coup de langue rapide sur le poitrail. L’avis de la meneuse ne l’importait pas, de toute façon, il avait prouvé sa valeur plus de fois que n’importe quel guerrier et méritait d’être lieutenant. Il avait montré sa loyauté non seulement au Clan de la Lande, mais à tous les clans lorsqu’il avait entrainé la patrouille vers le camp du Clan Sombre pour sauver les prisonniers.

« Le Clan du Ruisseau a de la chance compter parmi ses guerriers Feu Follet, déclara le matou, le sourire aux lèvres, Comment va mon frère ? »

Si certains chats de la forêt pensaient que Feu Follet était le fils d’Etoile Sombre et non d’Œil de Pénombre, le père de Cœur de Foudre, le second refusait toutefois d’admettre que le guerrier du Clan du Ruisseau n’était autrefois qu’un camarade de clan et de jeux. Ils étaient frères et le resteraient. Aurais-je témoigné la même hargne pour Clair de Lune ? songea le matou, le cœur serré. La femelle qui occupait ses rêves et ses pensées depuis tant de lunes manquait terriblement au lieutenant, si elle avait survécu à la bataille, Etoile de Mélodie et Etoile du Faucon se serraient sûrement opposées à leur amour et ils auraient dû faire un choix : s’exiler ou se quitter. Au moins, personne ne pouvait interdire Cœur de Foudre de penser à elle.

Le guerrier roux  en face de moi me regarda, fier, et se lécha le poitrail, avant de demander :

« Le Clan du Ruisseau a de la chance compter parmi ses guerriers Feu Follet, déclara le matou, le sourire aux lèvres. Comment va mon frère ? »

Je gardai mon calme malgré sa remarque, qui aurait pu être normal, sauf que j'avais son sourire. Il faisait sûrement ça pour me déstabiliser. Je ne savais pas si il était jaloux de son frère, que j'avais accepté, et pas lui. En fait, je ne savais pas pourquoi j'avais accueilli Feu Follet. Au début, c'était pour le tenir à l’œil, tout en faignant la bonté. Puis je l'avais protégé. Je l'avais pris sous mon aile, en quelque sorte. Maintenant, je veillais sur lui. Je répondis rapidement, pour éviter que Cœur de Foudre ne croit qu'il m'avait eu :

« En effet, c'est un très bon guerrier, courageux et loyal. Il se porte très bien dans son Clan. »

Sans savoir pourquoi, j'avais voulu le blesser. Puis, je me souvins de quelque chose, que j'avais toujours voulu savoir : comment Rêve Sombre était devenu un des guerriers d'Etoile Sombre.

« Dis-moi, quels sont les prisonniers qui se sont soumis à Etoile Sombre, avant que tu ne nous ais rejoint ? »

L'envie de savoir la vérité était plus forte à présent. Je voulais savoir ce qui lui était arrivé. Pourquoi il avait fait cela. J'attendis sa réponse, les oreilles pointées en avant, redressée.

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