Le clapoti du vieux ruisseau au loin me réveilla. Ce bruit qui m'était si familier m'avait tiré d'un cauchemar, qui s'effaçait déjà de ma mémoire. Je restai allongé quelques instants sur ma litière, regardant l'herbe devant ma tanière frémir grâce à la douce brise matinale. Décidant d'aller chasser, je me levai, fit une rapide toilette, et m'étirai, avant de sortit d'un pas mou de mon antre. Le camp grouillait déjà d'activité, et j'interpelai ma seconde pour lui dire que je partais chasser.
Je sortis donc du camp, et me dirigeai vers le vieux ruisseau. Les feuilles recouvrant la terre meuble craquaient sous mes coussinets, et c'était le seul bruit qui brisait le silence de la forêt s'éveillant. Une fois arrivée au point d'eau, je m'arrêtais, contemplant la surface limpide à la recherche de poisson. Je m'approcher d'une des cascades, et plongeai mon regard dans l'eau. Un saumon argenté émergea de l'eau dans un bond gracieux, et je tendus les pattes, espérant l'attraper. Mes griffes le touchèrent, et je les enfonçai profondément dans la chair tendre du poisson. Mais mon équilibre était instable, et je basculai dans l'onde glacée par la mauvaise saison. Surprise, je n'eus pas tout de suite le reflex de battre des pattes, et je sentis l'eau gonfler mon pelage épais, et m'attirer vers le fond. Je retenais péniblement ma respiration, et commençai à nager. J'avais toujours été douée pour cela. C'était quelque chose que j'aimais bien, émis je n'aimais pas me noyer, comme beaucoup de monde. Donc je nageais plus par instinct de survie que pour le plaisir en ce moment. Je remontais à la surface, et respirai profondément. Le courant était trop fort, mais je pouvais rester la tête en dehors du ruisseau. Je me laissai porter vers un endroit où le courant était peut être moins fort. Malgré l'eau, je sentais dans l'air une odeur différente que celle de mon territoire. Je sentais une odeur de chats, mais lointaine, que m'apportait le vent. Le vent était fort à cet endroit d'ailleurs. Ce devait être un endroit dégagé comme... Une lande ! Je me trouvais donc sur le territoire de la Lande. Je battis plus fortement des pattes, et sentais peu à peu, avec soulagement, que le courant devenait moins fort. Je m'agrippait à un rocher, et fit appel à toute mes forces pour monter dessus. J'appelais à l'aide, désespérée.

" À l'aide ! Je vais me noyer ! "

Certes, je n'allais pas me noyer, mais j'étais paniquée, et la peur tétanisait mes muscles. Je n'avais plus la force de grimper sur le rocher, et était presque prête à lâcher prise, et de me laisser emporter au fond du torrent. Soudain, une silhouette apparut sur le flanc de la colline, et se précipita à grandes foulées vers moi. Soulagée,è je soupirais.

Tu sens le camp s'éveiller doucement. Et, avec, tu as l'impression de voir le soleil se lever. Il te manque, n'est-ce pas ? Cet astre rougeoyant dans le brouillard matinal ne te fait plus l'honneur de sa compagnie, malheureusement. Mais rien ne t'empêche de l'imaginer encore, montant au-dessus de la ligne d'horizon. Son ascension correspond à l'éternelle croissance du boucan du clan. Tout le monde s'éveille, grogne après une mauvaise nuit pleine de cauchemars, râle parce que la réserve se fait petite, et part chasser en bougonnant.

Tu entends le rideau de feuilles qui marque l'entrée de ton antre se soulever. L'odeur d'une jeune apprentie s'approche, accompagnée d'une délicieuse effluve de souris. Connaissant bien ta sempiternelle mauvaise humeur, elle la dépose au sol et repart, sans un mot. Tu ne lui adresses pas même un bonjour, pas même un merci, et tu te jettes sur ton petit déjeuner. Le poste de guérisseuse a du bon parfois; cela fait bien longtemps que tu n'as pas eu à te soucier d'aller chasser. La saison froide apporte son lot de malade et, alors que tu es confinée à t'occuper d'eux, on pense à te nourrir. Ces chats au-dehors sont faibles, mais savent reconnaître l'utilité et la puissance de tes connaissances. Pour un clan, perdre un guérisseur signifierait un lente agonie de ses membres, le déclin d'un peuple.
Après avoir fini ton repas, tu t'approches de la couche ou est étendu un apprenti, blessé la veille par un blaireau. Tu le renifles longuement, avec application, mais tu ne sens aucune odeur caractéristique de l'infection. Tant mieux, il sera vite sorti de là.

Prise de l'envie soudaine de sortir, tu te diriges vers l'entrée du camp, en ordonnant d'une voix claire que l'on apporte à manger à ton malade. Puis, sans donner aucune explication, tu t'éloignes. Personne ne songerait même à t'en demander, par ailleurs.
Tes pas te mènent près de la rivière. Tu entends son grondement au loin, l'eau ronflant sur les pierres qui entravent sa route. Un son plus original se fait soudain entendre. Un appel, un cri. Connaissant bien le chemin qui est, de surcroît, dégagé, tu t'élances rapidement vers ce bruit.
Lorsque la rivière se fait trop forte, tu t'arrêtes, et tu lèves le museau pour cueillir l'effluve de l'inconnu. Une femelle, ne serait-ce que par le son de sa voix. Tu te concentres et, mis à part l'odeur de la peur mouillée, tu arrives enfin à l'identifier. Un membre du clan du Ruisseau. L'eau a du l'emporter jusqu'ici, et le courant affaibli par le fond rocailleux de votre territoire a du l'aider à s'accrocher quelque part.

Une intruse, donc, que ce soit par erreur ou par malchance. Dardant tes yeux dorés et pourtant voilés sur elle, tu restes assise, ta queue noircie battant calmement la mesure des battements de ton cœur. Avec un petit sourire narquois, tu attends de voir si elle va s'en sortir toute seule, ou si elle va continuer à voguer. D'une voix forte pour couvrir le ronronnement de l'eau, tu la salue.

_ Bonjour, du Ruisseau.